La coproduction de la ville passera par l’intelligence collective
Serge Soudoplatoff de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), introduisait la première table-ronde sur le thème « Quel sens donner au monde des données ouvertes ? ». Observant les exemples étrangers, l’enseignant et entrepreneur expliquait que passer à l’intelligence collective exigeait un changement profond des modes de gouvernance de l’administration. Ce changement de paradigme va obliger les municipalités à passer à un mode collaboratif, ce qui implique de « dépasser les clivages politiques habituels des partis qui s’affrontent ».

Un constat que ne renie pas Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l’innovation : « Nous vivons une période de transformation profonde. Quand il y a ce type de rupture technologique, c’est l’ensemble des secteurs de la société qui sont transformés et il n’y a aucune raison pour que la politique ne soit pas transformée ». L’élu perçoit l’open data comme une brique dans cette nouvelle forme de gouvernance entre gouvernants et gouvernés dans une ville qui serait coproduite. Afin de parvenir à cela, les asymétries d’information actuelles doivent être réduites : « pour lutter contre cette asymétrie de l’information, il faut ouvrir les données afin qu’elles puissent être traitées par tous ». Pour le sociologue des médias, la ville doit se gérer un peu comme une entreprise avec un contrat de performance qu’elle garantirait à ses concitoyens. 
Jusqu’à aujourd’hui, l’organisation de la plupart des villes du monde se fait en silos : des directions puissantes qui communiquent peu entre elles, contribuant ainsi à l’inertie de la puissance publique telle que les citoyens se l’imaginent volontiers. Il apparaît aujourd’hui nécessaire de décloisonner et d’assurer les transversalités entre les différents services de la ville : « ce modèle est une révolution par rapport aux modèles d’organisations dans les villes du monde entier », ajoute-t-il.

Michael Cross, journaliste au Guardian et initiateur du mouvement de l’open data (Free our data) en Europe est revenu sur la transparence permise par l’ouverture des données. Une transparence perceptible notamment depuis l’élection du nouveau gouvernement anglais.

François Bancilhon, CEO du site Data-publica, un annuaire de données lancé en septembre dernier, expliquait quant à lui que l’ouverture des données allait permettre aux citoyens d’accéder en plus grand nombre à l’ensemble des données produites pour pouvoir « optimiser les systèmes, de transport, d’énergie, de livraison de marchandises… et définir les stratégies du futur ». Et ainsi anticiper des catastrophes sanitaires telles que la canicule de 2003 ou le blocage de l’autoroute A6 en décembre dernier.

Avoir confiance en la capacité créative des citoyens
La deuxième table-ronde « L’opendata, on fait comment ? » abordait les expériences concrètes des villes de Rennes, pionnière en France, et d’Edmonton, pionnière au Canada et dans le monde. Xavier Crouan, directeur de l’Information et de l’innovation numérique de la Ville de Rennes et Rennes Métropole, est revenu sur le lancement du concours lancé suite à l’ouverture des données de la ville sur le site data.rennes-metropole en février 2010. « Un accélérateur formidable pour développer des applications,juge-t-il, mais aussi un moyen d’orienter nos politiques publiques sur l’accessibilité ou l’éco-mobilité, par exemple ». A l’issue de ce concours récemment clôturé, 50 applications ont été créées et 43 retenues pour être soumises à un vote du public, dont les résultats seront dévoilés le 30 mars prochain. Pour Xavier Crouan, cette démarche a avant tout permis de faire appel à la « capacité créative des citoyens », qui dessinent ainsi eux-mêmes les services dont ils ont besoin. Ce constant confirmant que l’innovation sociale n’est plus seulement du ressort des institutions mais des citoyens eux-mêmes. Pour Rennes, cette action a permis de « mettre en dynamique des acteurs du territoire qui ne se parlaient pas, autour d’une animation territoriale ».

A Nantes au contraire, ce n’est pas la Ville qui a pris l’initiative d’ouvrir ses données publiques, rappelle Claire Gallon de l’association LiberTIC. A l’inverse de ce qui s’est passé dans d’autres municipalités, c’est une communauté de « valorisateurs » présente sur le terrain, dont beaucoup de développeurs intéressés par le potentiel de cette libération, qui ont effectué un travail de sensibilisation et de lobbying auprès des citoyens. « Grâce à ce travail de mobilisation, on a réussi à interpeller les élus », confirme Claire Gallon. Résultat, Nantes a annoncé amorcé le processus d’ouverture de ses données publiques, le 3 février dernier.

Comme quoi, l’implusion peut aussi venir de la « base électorale » qui y voit aujourd’hui un moyen de pouvoir prendre la parole. Encore faut-il que cette ouverture des données publiques ne soit pas réservé à une élite, les villes devant prendre leur rôle de pédagogue très au sérieux sur ce point. Car comme le rappelle Jean-Louis Missika, « si nous sommes capables de produire de la délibération intelligente, de construire des outils adaptés et d’avoir des gens qui puissent s’en emparer, alors nous entrerons dans un monde où le citoyen ordinaire aura non seulement son mot à dire mais pourra véritablement participer à une décision politique de niveau local ou de niveau national ». Une révolution, cela va sans dire.

Lire aussi :

Crédit photo : RSLN Magazine